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Femmes et littérature, amour et désamour

Une pile de livres

Femmes et littérature, amour et désamour

Auteurice Audrey Molliet, 31 janvier 2018
Type de publication

Une pile de livres

Madame de Lafayette est au programme du bac français en 2018. Rien de très surprenant ? Au contraire : c’est la première femme à n’y avoir jamais figuré. Chez Décadrée, nous nous sommes demandé si ceci – et le fait que cette information ait fait couler beaucoup d’encre – est symptomatique des études littéraires. Éléments de réponse.

L’écriture existe depuis la nuit des temps, ou au moins depuis le IVème millénaire avant Jésus-Christ. Que ce soit pour compter, transmettre leur savoir ou leurs idées, répertorier ou faire rêver, les êtres humains écrivent depuis des milliers d’années.

Les productions en vers ou en prose des plus connuEs sont étudiées depuis longtemps dans les écoles et universités du monde entier. Pourtant, la majorité des œuvres présentes dans les canons littéraires ont été écrites par des hommes. Les femmes seraient-elles moins promptes à prendre la plume ?

Une norme difficile à ignorer

« C’est un fait que pendant très longtemps, les auteurs féminins ont été marginalisés sur la scène littéraire, comme dans quasiment tous les autres secteurs de la vie publique », explique Thomas Hunkeler, Professeur de français à l’Université de Fribourg. « Les programmes scolaires et universitaires reflètent cet état des choses. »

Cela ne veut pas dire que les femmes ont moins écrit que les hommes, que leur travail est de moindre qualité ou qu’il est moins intéressant, moins pertinent. « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les enjeux, en réalité, ne concernent pas la qualité, mais le pouvoir symbolique », souligne le Prof. Hunkeler. Celleux qui détiennent ce pouvoir peuvent dans un second temps, déclarer que ce qu’ils excluent est de moins bonne qualité ou sans intérêt.

« C’est un schéma qui se répète à l’infini », analyse Emma Schneider, étudiante en français. « Les auteurs femmes ou hommes sont forcément influencés par la norme qui, jusqu’à aujourd’hui, est la vision masculine, le masculin. » Et cette norme ne peut être niée : les auteurs, quel que soit leur genre, ne peuvent que choisir de s’y conformer ou de la défier.

Un canon en plein changement

Récemment, de nombreuses voix, dont celle de la professeure française Françoise Cahen – qui a lancé l’initiative résultant en l’inclusion d’une œuvre de Madame de Lafayette au programme du baccalauréat en France – se sont élevées pour plus de diversité dans les programmes scolaires. Par exemple, l’illustratrice Maureen Wingrove (plus connue sous le pseudonyme de Diglee) en a récemment parlé sur son blog, où elle écrit : « Ce serait vraiment chouette que dès l’école, on éduque les jeunes à respecter le travail des femmes autant que celui des hommes. Des œuvres magistrales féminines, il y en a eu des tonnes, qui m’ont bouleversée tout autant que celles des écrivains mâles adoubés dans les écoles… Il y a des génies partout, et posséder un pénis n’est pas une qualité requise pour écrire un ouvrage de qualité. Ouvrons un peu plus l’éventail de nos références, par pitié. »

Sur la vague du changement

Dr. Emma Depledge,assistante diplômée à l’Université de Fribourg, se réjouit d’avoir remarqué que, depuis les 5-10 dernières années, le canon académique qui comporte surtout des « hommes blancs, vieux et morts » est en train de s’éroder et qu’il fait place à un panorama littéraire plus inclusif en matière de genre, d’origine ou d’époque des auteurs. « À présent, il est admis dans le milieu académique que les auteurs femmes ont été exclues et il y a une volonté d’élargir l’ancienne vision des choses », explique la chercheuse.

« Cela vient également du fait que de plus en plus de textes sont disponibles facilement, notamment grâce aux bases de données électroniques. Elles permettent de lire des oeuvres qui ne se trouvent pas dans les anthologies traditionnelles. »

Le genre n’est pas seule lecture possible

S’il est de bon ton actuellement de mettre les femmes en avant, ce dont on ne peut évidemment que se réjouir, il est judicieux de remettre en question la pertinence de cette démarche. « Pour moi, les féministes auront gagné lorsque le genre d’unE auteur aura cessé d’avoir de l’importance », affirme le Dr. Depledge. « Quand je donne un cours sur un corps de texte écrit uniquement par des femmes, j’hésite toujours à le mentionner dans le titre. Je me demande combien de mes étudiantEs remarqueraient que tous les auteurs au programme du semestre sont des femmes et quelle importance ils/elles y apporteraient. »

Comme le souligne le Prof. Hunkeler, « on ne peut pas corriger l’histoire; mais on peut montrer qu’elle a toujours été plus complexe qu’on ne le pense habituellement. » Si les programmes littéraires, et le monde littéraire par extension, gagnerait à être plus inclusif en général (pas seulement en terme de genre, mais aussi en incluant des auteurs d’origines et d’époques différentes) et à remettre les normes qui les régissent en question, le genre ne doit pas devenir le prisme principal à travers lequel nous voyons la littérature car il serait réducteur de la limiter à la sphère des rapports entre hommes et femmes.

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