Menu de l'institut
Menu du LAB

LE LAB

« It’s just monger-heaven here », la prostitution au Pérou

« It’s just monger-heaven here », la prostitution au Pérou

Auteurice Maude Marchal Dombrat, 3 septembre 2017
Type de publication

Cette année, le prix du meilleur mémoire de master de la faculté des Sciences de la Société (Prix Universal) a été attribué à Mailys Lanquy pour son travail sur la prostitution en Amazonie péruvienne. Dans le cadre de notre série « féminisme d’ailleurs », DécadréE se penche sur  « It’s just monger-heaven here ». La prostitution en Amazonie péruvienne, représentations de l’Autre et de soi dans les communautés virtuelles de tourisme sexuel. « 

Nota bene: Dans cet article, le terme de « race » est utilisé à plusieurs reprises. Ici, le sens de ce terme n’a rien à avoir avec la notion de race qui fut employée pour établir des classifications internes à l’espèce humaine selon des critères morphologiques. Elsa Dorlin (2008), dans son ouvrage « sexe, genre et sexualités, introduction à la théorie féministe » décrit ainsi la notion de race comme une catégorie idéologique produite dans un rapport de domination historicisable. En d’autres termes, le concept de race tel qu’il est utilisé dans cet article ne fait pas référence à un terme biologique, mais à une catégorie socialement construite, telle que la classe ou le sexe.

 

DécadréE: Dans un premier temps, est-ce que tu pourrais nous présenter rapidement la problématique de ton mémoire?

Mailys Lanquy: Mon mémoire traite du tourisme sexuel en Amazonie péruvienne, où j’adopte un angle postcolonial et une lecture genrée. Mon objectif était de me concentrer sur les représentations des touristes, c’est pourquoi j’ai constitué un corpus de messages issus de forums spécialisés dans cette activité. J’ai retracé les étapes de la construction du mythe de l’hyper-sexualité des femmes amazoniennes depuis la conquista pour bien montrer la continuité entre le passé et le présent. Au final, mon mémoire s’attache autant à décrire la construction de l’altérité et le regard des occidentauxALES sur l’Autre, mais aussi sur euxELLES-même.

 

DécadréE: Peux tu nous expliquer ta définition du tourisme sexuel dans le cadre de ton mémoire? En quoi une analyse genrée et postcoloniale t’as paru l’angle d’approche le plus intéressant pour ce phénomène?

Mailys Lanquy: A priori, la définition du tourisme sexuel semblerait aller de soi, mais en fait, cette définition s’avère beaucoup plus complexe pour les sciences sociales.

Dans mes recherches, je me suis rendue compte qu’il était compliqué d’établir une définition du tourisme sexuel sans exclure certaines situations plus complexes et surtout les relations qui peuvent se nouer entre les deux personnes. L’échange économique n’est pas toujours monétaire, et d’ailleurs pas toujours purement économique. En fait, la prostitution encadre bien plus de situations que l’on pourrait le croire, ce qui fait référence à la notion de Paola Tabet, le continuum de l’échange économico-sexuel. Elle explique qu’il existe une grande variété d’échanges sexuels, rémunérés plus ou moins implicitement, et que le mariage peut-être considéré entre autre comme un échange de services sexuels, reproductifs et domestiques. Après, il est vrai que ma conception du tourisme sexuel fait référence à des touristes de classe moyenne qui vont chercher des faveurs de femmes pauvres et des relations inégalitaires, de genre, de race et de classe. Ça peut-être considéré comme une transformation du rapport colonial.

 

DécadréE : En quoi le contexte péruvien est-il favorable à ce tourisme sexuel?

Mailys Lanquy : A priori, le Pérou n’est pas vraiment connu pour son tourisme sexuel. Depuis que le pays a été pacifié dans les années 90, il a connu un vrai boom touristique, ce qui a fait muter l’économie. C’est aussi un pays où il y a beaucoup d’exploitation, qu’elle soit minières, forestières, ou d’autres ressources naturelles. Ça a pour conséquences d’accroître les inégalités sociales, les plus riches sont de plus en plus riches et les plus pauvres de plus en plus pauvres. La prostitution apparaît alors pour les femmes comme une solution pour gagner de l’argent. Dans mon mémoire, je me consacre à l’Amazonie et donc aux femmes Amazoniennes qui se prostituent, mais il faut savoir que dans le sud du pays, il existe des hommes, notamment à Cuzco, des hommes, qu’on appelle les briceros qui cherchent à séduire des gringas, donc des Européennes et des Américaines. Et même si les échanges ne sont pas forcément monétaires, ça peut être des cadeaux, mais aussi de l’ordre des sentiments et de la symbolique. Par contre, on emploie jamais le terme prostitution pour ce cas précis, bien que la finalité soit plus ou moins la même.

 

DécadréE : Dans ton mémoire, tu parles plus spécifiquement de la région Amazonienne. Quelles sont les spécificités de cette région? En quoi jouent-elles un rôle en faveur du tourisme sexuel?

Mailys Lanquy : Généralement, le pays est divisé en trois régions. La Sierra avec les Andes, la Côte, avec la capitale du pays Lima, et la Selva, la forêt amazonienne. C’est une division qui est à la fois géographique et climatique, mais c’est aussi une division économique, puisque l’on considère que la Côte a plus de ressources. Cette vision est également raciale, puisque la Côte est peuplée de de métis alors que la Selva ou la Sierra seraient peuplées d’autochtones. Dans l’histoire du Pérou et de la construction de la nation, la Sierra, même si sa population reste discriminée, est reconnue pour son héritage culturel puisque les incas font partis de son patrimoine. Cette présence lui apporte une forme de respect et lui confère une importance symbolique.  Au contraire, l’Amazonie, qui a été la dernière région colonisée, est beaucoup moins reconnue et est souvent abandonnée par l’état. Dans mon mémoire, j’explique que la population de l’Amazonie péruvienne est érigée comme un Autre interne. Les hommes sont considérés comme un frein au développement et sont démasculinisés, alors que les femmes représentent le territoire à conquérir, elles sont exotisées et érotisées. C’est cette conception qui permet au tourisme sexuel de se développer.

 

DécadréE : Tu parles aussi des représentations des femmes Amazoniennes par les touristes sexuels, nationaux comme internationaux. Peux-tu nous en parler?

Mailys Lanquy : Comme je précisais auparavant, les femmes amazoniennes apparaissent comme un territoire à conquérir. Au fil des siècles, le mythe de l’hyper-sexualité s’est construit. Donc, les femmes de la Selva seraient belles, jeunes, proches de la nature avec un côté sauvage, à l’image de la région elle-même. Ce qui est intéressant dans les discours des touristes sexuels, c’est qu’ils sont parfois très contradictoires. D’un côté, ils veulent une femme avec la peau mate ou foncée, mais pas trop. Ils veulent un corps sauvage, mais des femmes soumises. Et là où c’est assez intéressant, c’est de voir comment ils construisent l’image de la femme amazonienne en contradiction avec celle des femmes européennes, américaines… Mais aussi des femmes de la Côte péruvienne. Les femmes amazoniennes auraient des valeurs qu’ils estiment traditionnelles, comme le respect de la famille, la soumission au mari, le fait de travailler, d’avoir beaucoup d’enfants… Et le fait aussi que les femmes amazoniennes ne seraient pas intéressées financièrement. C’est assez contradictoire, puisque dans la majeure partie des relations entre les touristes sexuels et les femmes amazoniennes, il y a un échange qui est fait, même s’il n’est pas monétaire.

 

DécadréE : Enfin, en tant que française travaillant sur le Pérou, quelle est ta position par rapport à ton objet d’étude?

Mailys Lanquy: C’est vrai que je me suis longtemps interrogée sur ma place et surtout ma position de jeune femme blanche, féministe, privilégiée, qui étudie, et sur un autre pays que le sien. Longtemps, je me suis inquiétée de fabriquer un discours féministe occidental. Ce n’est pas toujours facile de produire un discours sur l’Autre sans le coloniser à nouveau. Comme tout le monde, j’ai des présupposés, d’autant plus que j’ai une position privilégiée. Après, je pense que mon expérience au Pérou, le fait d’avoir travaillé dans une association, d’avoir été témoin de certains rapports de pouvoir, que se soit entre EuropéenNEs ou entre PéruvienNEs de la Côte et PéruvienNEs de l’Amazonie, m’a quand même permis de me questionner sur ma position, sur les rapports qui se jouent. Je pense que c’est pour cette raison que j’ai voulu me concentrer sur le regard et la construction du discours de l’Autre. Après, j’ai essayé de faire très attention à ne pas victimiser les femmes. D’un autre côté, c’est vrai que mon regard sur les touristes sexuels a été un peu plus compliqué aussi, mais pour ne pas appauvrir ma recherche, il fallait que je m’efforce de ne pas émettre de jugement de valeur, il a fallu que je sorte de la binarité “homme occidental oppressif et femme d’Amérique latine victime.”

Restez au courant de nos actualités:

S'inscrire à la newsletter

Recevez nos outils contenus media:

S'abonner à la boîte-à-outils