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La bisexualité, « deux fois plus de chances, le samedi soir[1] »

La bisexualité, « deux fois plus de chances, le samedi soir[1] »

Auteurice Iris Bouillet, 12 mai 2017
Illustrateurice
Type de publication Sexualité, genre et corps

Toute sexualité est sociale et socialisée. Qu’est-ce que la bisexualité, qui est perçue parfois comme une fausse sexualité, une sexualité intermédiaire, une transition, une homosexualité non assumée ? DécadréE vous propose d’approcher le sujet.

Si l’on se tourne volontiers vers des dictionnaires ou des expertEs pour trouver une définition, les personnes directement concernées ont rarement la parole. Pourtant, elles ont leur mot à dire.

Selon Camille Manet[2], la bisexualité c’est « le fait d’être attiréE tant par les personnes de ton genre que les personnes du genre opposé ». India Rama, elle, explique que c’est « ne pas se contenter d’un seul genre, et pouvoir tomber amoureux d’une personne avant tout et non de son sexe ». Pour Laura Pasquier, c’est « avant tout se situer hors des extrêmes du spectre de l’orientation sexuelle. À partir de là, ça implique qu’un individu peut se sentir attiré et/ou tomber amoureux d’une fille comme d’un garçon. Il n’y a simplement pas de barrières liées au (cis)genre[3]. »

Les personnes bisexuelles s’expriment donc sur leur orientation sexuelle, orientation pourtant contestée lorsque revendiquée. En effet, il semble, que pour certainEs, il est délicat de concevoir la bisexualité comme une sexualité « réelle ». Elle est plutôt perçue comme un moment d’hésitation, une sorte d’adolescence sexuelle, où l’on souhaite irrationnellement tout avoir, jusqu’à ce que l’on réalise qu’il faut faire un choix.

Le beurre et l’argent du beurre, une idée antisociale

« Ça te dirait un plan à trois ? Je suis sûr que tu aimes ça. C’est ce genre de réactions que j’entends habituellement lorsque je dis que je suis bisexuelle », raconte Léa Dafner. Les bisexuelLEs semblent en effet aller à l’encontre de l’impératif du choix. La société actuelle est un monde où il est primordial de faire des choix. « Choisir » est un impératif quotidien. Analysé par les sciences politiques, ce sont maintenant les économistes qui centrent leur attention sur le « public choice » ou le « social choice » [4]. Qu’est-ce que veut l’individu ? Dès leur plus jeune âge, les enfants sont questionnés sur leur futur choix de carrière au travers de l’incessant « qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? ». Et puis il faut choisir une couleur préférée, un animal préféré, une filière d’études à suivre, un sport à pratiquer, le parent chez lequel vivre. Bref, la vie est un long choix tranquille. Le non-choix constitue donc une aberration dans une société du choix et la bisexualité semble ainsi être vécue comme l’absence d’un choix entre un homme et une femme, la volonté déraisonnable de tout avoir. Cette indécision entre ainsi en confrontation avec l’importance de la prise de décision. Savoir se décider, c’est être adulte. L’inverse est donc un comportement d’enfant, d’adolescent. Cette phase de floue devra ainsi être réglée d’une manière ou d’une autre. C’est homme ou femme, mais on ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre, le lait et la crémière !

Pourtant, il faut ici souligner qu’imaginer la bisexualité comme le désir de « tout » est clairement une idée reçue. En effet, comme le mettait en scène le National Geographic sur sa couverture de janvier 2017 « Gender Revolution », l’identité de genre est multiple. Par conséquent, la bisexualité constitue bien un choix, à savoir hommes et femmes. Comme témoigne Katia Borlat : « J’ai toujours trouvé les corps féminins plus gracieux, plus élégants, et les femmes sont belles et merveilleuses, il n’y a aucun doute là dessus, explique-t-elle – mais ça ne change rien à l’attraction que je ressens pour les gars et ressentirai toujours pour eux. »

Évolution du regard ?

Malgré tout, aujourd’hui, on peut s’affirmer bi, mais cela reste parfois peu pris au sérieux. Cette évolution, on la doit notamment au coming out bi de plusieurs stars (Lily Rose Depp, Lady Gaga, Angelina Jolie, Megan Fox, Cameron Diaz, Amber Heard, Miranda Kerr, Lindsay Lohan, Michelle Rodriguez, Jodie Foster, Pink, Lily Allen et bien d’autres). On peut se demander si être bi est alors devenu in de nos jours. Pourtant, parler d’une sexualité comme d’un effet de mode contribue davantage à la décrédibiliser qu’à la « rendre cool » : une mode étant généralement une tendance plus ou moins éphémère, la bisexualité – souvent pensée comme une transition douce vers une homosexualité assumée – serait donc destinée à passer à un moment ou à un autre, et chacunE redeviendrait au choix rationnel d’une sexualité binaire. Cependant, la bisexualité existe bel et bien, et la biphobie est aussi bien présente dans les milieux homosexuels qu’hétérosexuels. « J’ai du mal à employer l’expression « coming out bi » et à me l’approprier, raconte Léa Dafner, en parlant de la biphobie. Je n’ai pas l’impression que ce soit suffisamment important pour le qualifier comme tel – et dans ma réflexion, je me dis qu’en général je me sens très peu légitime à m’exprimer à ce sujet. Après avoir échangé avec d’autres personnes bisexuelles, j’ai compris que je n’étais pas seule à me sentir peu légitime, et je crois que les personnes bi sont en général peu reconnues, car nous sommes hors de la binarité et cela peut déranger les gens qui veulent nous catégoriser. C’est ce que j’ai à revendiquer en ce moment: le manque de légitimité intériorisé dû à un manque de reconnaissance et une invalidation – au sens de ne pas valider une identité – des autres sur les personnes bi. »

Alors…touTEs bi ?

Sommes-nous donc toutEs bisexuelLEs à la naissance ? Notre sexualité serait par la suite socialisée, étouffée par les contraintes et normes sociales binaires, bannie par certaines religions ? On ne naîtrait pas hétérosexuelLE, on le deviendrait ? Cette position serait finalement tout aussi dogmatique que l’hétéronormativité. En effet, ce serait nier l’identification à laquelle chacunE s’apparente. La volonté de reconnaissance de la bisexualité ne constitue pas une démarche visant à écraser ou rabaisser les autres sexualités (par exemple en dénonçant leur manque d’ouverture). C’est en acceptant l’altérité et non en érigeant son orientation sexuelle en règle absolue (ce qui est le cas aujourd’hui avec l’hétéronormativité) que l’on parvient à gagner du terrain en matière de reconnaissance générale, autant par rapport à l’identification bisexuelle que celle pansexuelle [5], asexuelle [6] et tant d’autres.

 

[1] Woody Allen

[2] Nom d’emprunt

[3] Dont le genre physique (homme ou femme) et le genre mental (masculin ou féminin) coïncident. Le dictionnaire Cordial, Dictionnaire en ligne : http://dictionnaire.cordial-enligne.fr/definition/cisgenre (consulté le 11 mai 2017)

[4] Martin Mathieu, Merlin Vincent, « Les apports de la théorie du choix social pour l’analyse de la démocratie », Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy, 2004/2 (n° 47), p. 53-68. DOI : 10.3917/cep.047.0053. URL : http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2004-2-page-53.htm

[5] orientation sexuelle caractérisant des personnes potentiellement attirées sexuellement et/ou sentimentalement par d’autres personnes, indifféremment du sexe anatomique ou du genre de celles-ci. La théorie de la parasexualité – 6ème Congres de Sexologie – Limassol, Juin 2002 – par Peter Boom

[6] « L’état d’une personne (asexuelle) qui ne ressent pas d’attirance sexuelle pour une autre personne. » Anthony F. Bogaert, « Toward a conceptual understanding of asexuality », Review of General Psychology, no 10 (3),‎ 2006, p. 241–250

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