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Les promesses féministes de Macron

Les promesses féministes de Macron

Auteurice Laura Pasquier, 19 octobre 2017
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La politique de Macron en matière de droit des femmes s’avérant très relative, Décadrée décrypte pour vous l’écart entre ses promesses et les faits. Stratégie budgétaire ou intérêt politique ? Et s’il était plutôt question d’un bras de fer entre le gouvernement et la société civile ?

Publié par Laura Pasquier le 19.10.2017

« Yes, I am a feminist. » Emmanuel Macron, président de la France fraîchement élu, confirmait en décembre passé, lors du forum des femmes pour l’économie et la société, qu’il se positionnait en tant que féministe. Du reste, il a clamé toute sa campagne durant vouloir faire du droit des femmes une priorité nationale. Or, récemment, plusieurs associations féministes lui ont reproché de faillir non seulement à cette promesse, mais également à la quasi-totalité de ce qu’il assurait dans son programme. Quelles motivations Macron peut-il avoir à bafouer ainsi sa parole ? Raisons budgétaires, politiques ou personnelles ?

Je te décrocherai la lune

L’une des promesses les plus attendues dans le cadre de l’élection de Macron consistait en la création d’un « ministère plein et entier des droits des femmes »[1]. Or, en France, un ministère est une infrastructure politique découlant de l’administration publique et qui doit mettre en œuvre la politique gouvernementale, ce qui lui confère un large poids et une influence certaine. Une promesse qui a donc fait rêver, un eldorado que toute association féministe attendait. Il se trouve qu’au lieu de ceci, Macron a finalement créé un secrétariat d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes. Seulement, ce poste se trouve au dernier échelon de la hiérarchie ministérielle. L’écart entre la promesse et les faits a donc inéluctablement engendré un mécontentement palpable. Déception toute légitime, compte tenu de la véhémence avec laquelle ce ministère avait été vendu.

Par ailleurs, le président d’En Marche ! s’était également engagé contre le harcèlement de rue, entendant en faire une priorité. Le harcèlement de rue est un phénomène où des hommes considèrent posséder l’espace public et donc avoir le droit d’aborder les femmes, de façon sexualisante et dénigrante, sans leur consentement. Les femmes y sont confrontées dans le métro, dans la rue, au marché, dans les magasins, les bars, en boîte, au travail ainsi que dans les instances publiques voire politiques. Sachant qu’une vaste majorité des femmes en sont victimes au quotidien, dont 100% en France dans les transports en commun[2], il s’agit d’une question au tournant de laquelle une ferme réponse était attendue. Et pourtant, Emmanuel Macron n’a fait que qualifier le harcèlement de rue d’incivilité3. Non seulement l’incivilité n’a-t-elle que des conséquences juridiques minimes, mais il s’agirait en plus, pour que la manœuvre soit efficace, que touTEs les policiers et policières s’attellent à réprimander les harceleurs sur un temps élongé, de façon continue et ceci sans relâche. Or, il semblerait que ces policiers et policières soient encouragéEs à contenir des manifestations et effectuer des perquisitions plutôt qu’à coller des incivilités. En outre, réduire le harcèlement de rue à de l’incivilité tend à le dénuer de son caractère sexiste. En effet, qu’un homme suive une femme dans la rue tout en la traitant de « salope » parce qu’elle refuse de lui parler semble quelque peu plus inquiétant que le fait d’hurler au téléphone. Et pourtant, l’un et l’autre sont qualifiés d’incivilité. En soi, il est finalement question d’un problème structurel dont la gravité est avérée, mais qui ne reçoit pas l’écho à la fois promis et nécessaire. De la poudre aux yeux, la lutte contre le harcèlement sexuel ?

Puis, s’il est une promesse électorale qui a marqué les esprits, c’est celle de la parité « dans les grands postes de l’Etat »[3]. Une parité qui se voulait donc quantitative, mais également qualitative. Confier des postes régaliens au sein du gouvernement à des femmes, en termes de message politique, ça a de quoi laisser bouche bée. Qui plus est, le Président avançait qu’il « souhaitait » une femme Premier ministre. Petit faux espoir : c’est un homme, Edouard Philippe, qui est aujourd’hui Premier ministre. Qu’en est-il de la parité ? Si la distribution d’un point de vue quantitatif est effectivement tenue, il n’en va pas de même pour l’aspect qualitatif. Le seul poste symboliquement fort, c’est la désignation de Sylvie Goulard en tant que ministre de l’armée. Les autres postes tenus par des femmes sont tous des postes dont l’importance s’avère moins cruciale dans la gestion d’un pays. Une parité d’apparence ?

De nombreux autres points de la politique d’Emmanuel Macron ont été critiqués. Notamment le fait qu’il promettait des « opérations de contrôles aléatoires et imprévus à grande échelle sur les politiques salariales et de ressources humaines [des grandes entreprises], et de rendre publics les résultats »[4]. Ce qui n’aura apparemment pas lieu : cela violerait la loi du 17 juillet 1978, qui interdit de communiquer à des tiers des documents qui divulgueraient le comportement d’une personne, physique ou morale, pouvant lui porter préjudice. Si le Président venait à le faire tout de même, cette initiative contredirait les positions du quinquennat précédent, auquel il appartenait pourtant. Quant à ce qu’en diraient de grandes entreprises qui peuvent avoir apporté un soutien à Macron, nul doute qu’une divulgation pareille aurait de quoi les vexer, ce qui ne serait pas dans son intérêt. Mais est-ce que ne pas vexer ces entreprises au détriment des droits des femmes et de sa parole est véritablement dans son intérêt ? Tentons de s’atteler aux raisons qui incitent le Président de la République En Marche ! à ne pas être aussi féministe dans les faits que dans ses discours.

A la recherche de l’anguille

Un ministère plein et entier pour les droits des femmes, ça coûte un peu cher. Envoyer ses policiers et policières coller des incivilités, non seulement ça a un coût, mais ça implique également de ne pas pouvoir les mobiliser ailleurs. Afficher les incohérences d’entreprises qui font fonctionner l’économie d’un pays, ça a d’une part des conséquences sur la dite économie, et potentiellement sur des lobbys que le gouvernement n’a pas nécessairement envie d’avoir à dos. Tant de coûts, pour une économie déficitaire dont le budget manque de neuf millions[5], ça a de quoi dissuader. Dans le même ordre d’idée et d’après plusieurs associations féministes, il semblerait qu’au moins 25% du budget des droits des femmes sera coupé, information corroborée par un décret du ministère de l’action et des comptes publics[6]. Or, sur un budget déjà mineur, 25% représentent ici 7.5 millions d’euro là où l’Etat brasse des milliers de milliards d’euro : l’armée, à elle seule, mange par exemple 44.2 milliards d’euros. Ce que « l’économiste » aura oublié de calculer dans sa vision pragmatique, c’est qu’ignorer le droit des femmes entraîne également des conséquences financières; indirectes, peut-être, mais néanmoins bien réelles. En effet, pour toutes les femmes battues en France, il y a des retombées sociales, judiciaires et médicales. Ces retombées représentent également un investissement financier. Chaque année, en raison des violences conjugales, des viols, des mutilations génitales, des agressions verbales et physiques, ou encore des discriminations de tous types à l’égard des femmes, 120 millions sont investis dans les aides sociales, 235 millions dans la police et la justice et 483 millions d’euros dans les soins de santé. Les coûts humains sont estimés à 535 millions d’euros, et les pertes de production à 1099 milliards d’euros[7]. Au-delà de l’aspect financier, une femme battue subit un traumatisme qui la poursuivra sa vie durant – pour autant qu’elle ne soit pas décédée sous les coups. Aucune aide sociale, médicale ou juridique ne sera jamais en mesure de réparer les dégâts d’une telle violence. Il en va de même pour une femme violée, une femme mutilée ou une femme quotidiennement dénigrée. Baisser un budget est facile, lorsque l’on n’est pas concerné. La question qui se pose devient relativement évidente : pourquoi diminuer leurs subventions de 7.5 millions d’euros lorsque ce même budget œuvre à la réduction des coûts précédents ?

Sans pouvoir dire qu’il s’agit d’une réponse sans faille, peut-être que Macron cherche en réalité à satisfaire une autre promesse de campagne : parvenir à faire passer le déficit public sous la barre des 3%. Promesse centrale de sa campagne, parvenir à remplir cet objectif relèverait du miracle. A cet effet, il a donc orchestré une restriction budgétaire relativement importante, bien que maquillée. Le fait que le budget des droits des femmes soit restreint serait alors issu non pas d’un simple désintérêt, mais de la poursuite d’un but qui se veut supérieur. Seulement, couper ces revenus implique peut-être un résultat positif sur du court terme, mais il est ici question d’un montant qui concerne plus de la moitié de la population. En continuant ainsi sur du long terme, les associations ne pourront plus subvenir aux besoins des femmes. Ceci impliquerait donc que les chiffres cités plus hauts risqueraient d’augmenter encore, ce qui contribuerait à creuser les dépenses de l’Etat. La question est de savoir si des effets de courts termes (retomber à moins de 3% de déficit public) sont à favoriser au détriment des bénéfices de long terme (réduction des dépenses liées aux violences sur les femmes). Et quand bien même Macron peut envisager cela de façon transitoire, lorsque les budgets seront à nouveau augmentés et que les dégâts liés aux restrictions se feront sentir, qu’adviendra-t-il des 3% de déficit ?

De l’absence de logique de ce qui précède découle une nouvelle hypothèse : des raisons politiques. Si Emmanuel Macron a su rallier la droite et la gauche (parmi les votant-e-s qui ne se sont pas abstenu ou n’ont pas voté blanc), il est possible qu’il cherche un plus vaste soutien à droite, peut-être afin de contrebalancer des prises de positions auxquelles la droite dure ne peut décemment se rallier, tel que la défense du droit à l’avortement ou mettre en place des infrastructures pour l’émancipation des femmes et contre le patriarcat, pour la mixité sociale et contre la xénophobie. Il a, en effet, durant son élection, cherché à toucher la droite, notamment par l’aspect libéral de son programme – peut-être est-ce encore le cas. Seulement, si ce n’est pour des raisons de stratégie personnelle dont nous ne pouvons avoir connaissance, le gain relatif à ces manœuvres paraît plutôt faible: se fâcher avec une partie de la société civile pour plaire à une droite dont il n’a a priori aucunement besoin.  L’Assemblée nationale se constituant d’une majorité absolue au bénéfice de Macron, il possède donc d’ores et déjà une marge de manœuvre presque totale. Séduire une autre part du paysage français apparaît donc absurde.

 

Dès lors, si ce n’est pas pour des raisons budgétaires et qu’il ne gagne pas plus de pouvoir politique en agissant en défaveur du droit des femmes, quel intérêt ? Il semble que cette question doive rester sans réponse. La société civile, en revanche, possède un droit de réponse qu’il est nécessaire d’exploiter. Simone de Beauvoir a un jour affirmé que les droits des femmes seraient en perpétuel danger et particulièrement en période de trouble. Tandis qu’une tension identitaire fractionne la France, que des mouvements populistes se font une place sur la scène internationale et que certains gouvernements totalitaires naissent, il est essentiel, plus que jamais, de se mobiliser. Il est essentiel, plus que jamais, d’interpeller les politiques. Il est essentiel, plus que jamais, d’évoluer dans le sens d’une prise de conscience non pas individuelle, mais collective. Car tant que la France demeure démocratique, il est possible de changer les choses. C’est en tant que société unie par un passé, un présent et un futur en commun qu’il s’agit de penser. Et c’est au nom de ce futur commun qu’il est question d’agir.

 

 

 

[1] En Marche!, Le programme, Egalité entre les femmes et les hommes, « https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/%C3%A9galit%C3%A9-hommes-et-femmes »

[2] Avis du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 16.04.2015, communiqué de presse, « http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/actualites-69/article/avis-du-hcefh-relatif-au »

3En Marche!, Le programme, Egalité entre les femmes et les hommes, « https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/%C3%A9galit%C3%A9-hommes-et-femmes »

[3] En Marche!, Le programme, Egalité entre les femmes et les hommes, « https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/%C3%A9galit%C3%A9-hommes-et-femmes »

[4] Ibid.

[5] Jean-Baptiste Duval, The Huffingtonpost, La cour des comptes annonce un déficit de neuf milliards sur le budget 2017, 28.06.2017, « http://www.huffingtonpost.fr/2017/06/28/la-cour-des-comptes-annonce-un-deficit-de-neuf-milliards-sur-le_a_23005484/ »

[6] Ministère de l’action et des comptes publiques, ouverture et annulation de crédit à titre d’avance, pdf, « https://fichiers.acteurspublics.com/redac/pdf/12_07_2017_14_41_05Projet_de_d00cret_d_avance.pdf »

[7] Ministère des droits des femmes, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et les hommes, violence faites aux femmes, mars 2014, pdf, « http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2014/03/Egalite_Femmes_Hommes_T6_bd.pdf »

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