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Quand l’avortement s’invite au cinéma

Quand l’avortement s’invite au cinéma

Auteurice Alexandra Tavares Agostino, 3 février 2017
Illustrateurice
Type de publication Cinéma Sexualité, corps et genre

illustration Rose Wong

 

Alors que l’avortement est un sujet récurrent en politique, il est très rarement représenté sur nos écrans. Et lorsqu’il l’est, le cinéma a tendance à s’éloigner de portraits de ces femmes qui choisissent de mettre un terme à une grossesse non désirée mais plutôt de mettre en avant d’autres représentations. L’avortement, ce mot qui fait pâlir Hollywood. On rembobine.

A première vue, il semblerait à Hollywood que les femmes ne se font pas avorter. Sauf que, en dehors de l’écran, elles le font. En Suisse, selon les chiffres de 2015 de l’Office fédéral de la statistique, pour 1000 femmes entre 15 et 44 ans, 6.3  ont recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG), soit près de 1 femme sur 160. [1] Où sont donc leurs histoires?

En 2015, trois chercheuses de l’Université de Californie à San Francisco compilent le premier examen quantitatif de l’histoire de l’avortement à la télévision et au cinéma entre 1916 et 2013 aux États-Unis. Elles constatent sans surprise que les scénarios diffèrent des statistiques de la vie réelle de manière significative. Depuis 1973 (lorsque l’avortement est légalisé aux États-Unis), le pourcentage de personnages fictifs qui considèrent la procédure et y ont recours a considérablement chuté, alors que dans le monde réel, le nombre de procédures a augmenté. [2]

Coauteure de l’étude, Gretchen Sisson affirme que des représentations plus précises de la réalité de l’avortement sont nécessaires. «Les femmes font des avortements», dit-elle. « Elles ont le droit de savoir que ce qu’elles font est sans danger.»

Une storyline pas assez dramatique ?

L’IVG au cinéma demeure donc une question très controversée, à laquelle relativement peu osent se frotter.  Lorsque celle-ci est abordée, la question de l’avortement est le plus souvent mise sur le tapis afin d’engendrer de la tension. Très souvent, ce type d’intrigue se voit abordé de façon dramatique poussée à l’extrême et devient source de conflit entre les personnages.

Nous voyons apparaître sur nos écrans de plus en plus de récits dans lesquels les grossesses non désirées aboutissent plutôt à l’adoption, à la prise de décision d’avoir l’enfant ou – et il semblerait que cela soit le favori de la télévision – la fausse couche avant qu’un accès à un avortement légal et sans danger ait pu avoir lieu. Les personnages fictifs féminins voient rarement l’avortement comme une option possible. L’alternative de l’avortement n’est très souvent qu’effleurée, et toujours trop vite écartée.

L’histoire de «Juno» (2007, Jason Reitman) représente bien ces idées. L’adolescente, après s’être rendue dans une clinique médicale, décide qu’elle ne peut pas avoir recours à une IVG. C’est lorsqu’elle découvre que son enfant a déjà des ongles aux doigts qu’elle se tourne plutôt vers l’option de l’adoption. Ceci s’agit d’un choix qu’uniquement 1% des femmes font dans la vie réelle. Au cinéma, elles sont pourtant près de 9%.

Un autre scénario fréquent est celui du partenaire masculin qui cherche à dissuader sa partenaire. Alors qu’il est clair que ce genre de situation se passe dans la réalité, il existe toutefois un défaut de disproportion à l’écran. En effet, le scénario opposé – dans lequel le partenaire tente de parler de l’avortement à la femme enceinte – est rarement vu à la télévision. Très peu des personnages fictifs se voient donc soutenus par leurs partenaires, amiEs et même leurs familles dans leur décision.

Le blockbuster  « En cloque, mode d’emploi » (2007, Judd Apatow) suit ces modèles. La procédure n’est mentionnée que par le père de l’enfant et ses amis, qui ne peuvent même pas prononcer le mot, utilisant des euphémismes qui ne servent qu’à contribuer à la stigmatisation qui entoure l’avortement.  Ces représentations renforcent  l’idée que l’avortement est fondamentalement quelque chose de mauvais et que les femmes qui le choisissent ne méritent ni  compassion ni soutien.

Un cinéma qui s’adapte

Un manque de représentation moins dramatique de l’avortement se trouve étroitement lié avec un vrai manque de femmes directrices et productrices.  On constate en effet, que lorsque plus de femmes sont présentes derrière la caméra, elles apportent avec elles certainEs protagonistes de fictions phares qui font le choix entièrement assumé d’avoir un avortement. Non seulement nous voyons aujourd’hui beaucoup de personnages ayant recours à une IVG, mais on voit aussi beaucoup de ces personnages prendre cette décision sans regrets ou introspection.

Shonda Rhimes a réussi à s’imposer dans le monde du petit écran avec ses personnages féminins forts et indépendants. Dans « Grey’s Anatomy » ou « Scandal », la question de l’avortement est ouvertement abordée et montrée à l’écran sous un nouveau jour. Les femmes sont en charge de leurs corps et de leurs décisions.

Le cinéma et la télévision se basent, mais modèlent également les représentations que nous avons.

De ce fait, des représentations réalistes de l’avortement à l’écran peuvent également venir en aide à des femmes, traversant les mêmes expériences dans leur vie personnelle. Un véritable reflet de l’évolution du traitement de l’avortement à la télévision est son utilisation à la fois comme déclaration politique et comme un choc qui renverse les normes du cinéma.

Avec un avenir plus qu’incertain pour l’accès universel à l’IVG, surtout après la signature par Donald Trump le 23 janvier 2017 d’un décret s’y attaquant, il semblerait que ce genre d’intrigue paraît plus essentiel que jamais !

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