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Retraite : une réforme et des femmes

Retraite : une réforme et des femmes

Auteurice Fanny Scuderi, 14 septembre 2017
Type de publication

Le système des retraites a été de nombreuses fois réformé. A nouveau, le parlement propose une 11ème révision sur laquelle le peuple suisse devra se prononcer le 24 septembre 2017. Elle prévoit, entre autres, d’augmenter l’âge de la retraite des femmes, de 64 ans actuellement, à 65 ans. Décadrée revient sur les enjeux de la réforme, la prévoyance vieillesse 2020, pour les femmes.

Le « paquet  Berset », appelé ainsi du nom du ministre socialiste qui en est l’instigateur, Alain Berset, présente différentes réformes. Ce projet a pour but de pérenniser à court terme, soit pour les 20 prochaines années, le système des retraites et de préparer l’arrivée à la retraite des baby-boomers, actuellement, les plus de 50 ans. De nombreux changements ont été prévus par la réforme, dont l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Nous avons posé les questions à deux femmes de gauche[1].Toutes deux se définissent comme féministes. Tentons d’y voir plus clair.

 

Le premier pilier, l’AVS est fondée sur le principe de solidarité. Les travailleurs actifs cotisent pour les rentes des retraités. Le second pilier est individuel. Le travailleur cotise pour lui-même.

 

Certains parlent de « compromis » d’autres de « double peine ». La réforme prévoit plusieurs mesures liées d’une certaine manière aux femmes. La première est l’augmentation de l’âge de la retraite, de 64 ans à 65 ans. La seconde est l’instauration du supplément de 70 CHF de toutes les rentes. Ce changement, selon les feuilles officielles, aiderait les bas revenus en cas de retraite anticipée et concerne de manière plus importante les femmes. En effet, une partie d’entre elles pourrait toujours partir à 64 ans, sans que leur rente soit diminuée, grâce à l’ajout des 70 CHF. La troisième mesure concerne le 2ème pilier. Celle-ci améliorerait la prévoyance professionnelle des salaires compris entre 21’150 et 52’875, soit la tranche des revenus dans laquelle les femmes sont les plus représentées.

Égalisation de l’âge de la retraite et inégalité salariale

Excepté l’augmentation de l’âge de la retraite, les autres mesures ne touchent pas exclusivement les femmes. Cette mesure est d’ailleurs devenue un point central du débat. A tort, selon Maria Bernasconi, membre du Parti socialiste et ancienne conseillère nationale: «Je me suis battue durant des années en faveur de l’égalité salariale et continuerai de le faire. Dans le cadre de la réforme, il s’agit de prendre en compte les réalités politiques, ce que les opposants à la réforme nient. Nous avons un parlement très bourgeois. C’est un compromis politique et c’est la première fois qu’on a pu obtenir des compensations.»  Michela Bovolenta, syndicaliste et membre du comité référendaire n’est pas de cet avis. Contre la réforme PV 2020, elle estime que l’inégalité salariale et l’augmentation de l’âge de la retraite sont des arguments majeurs contre la réforme. «L’égalisation de la retraite est le seul domaine dans lequel le gouvernement avance. C’est une mesure d’économie ! 1,3 milliard de CHF sont ainsi économisés sur le dos des femmes.» explique-t-elle. En plus, l’inégalité salariale génère un impact direct sur le montant des rentes. Par ailleurs, elle ajoute que «les rentes dépendent des revenus accumulés. Sans égalité salariale, forcément les rentes des femmes sont inférieures. D’ailleurs, si le salaire des femmes augmentait, le fond AVS grossirait.» Il est certain que l’inégalité salariale, malgré la loi sur l’égalité, entrée en vigueur il y a déjà 10 ans. Les femmes gagnent toujours environ 19% de moins que les hommes, et ce, sans justification.

Les opposants à gauche ne sont pas les seuls à voir en l’inégalité salariale un argument contre la réforme. L’Union démocratique du centre (UDC), parti très à droite, s’est montrée discrète jusqu’ici sur les conséquences qu’elle aurait pour les femmes, bien qu’opposée à la réforme. Céline Amaudruz, conseillère nationale et vice-présidente de l’UDC nous explique son point de vue: «Il est évident que l’augmentation de l’âge de la retraite pour les femmes constitue un argument supplémentaire contre la réforme qui nous est proposée. L’égalité doit être acquise de manière équitable et pas seulement lorsqu’elle se fait au détriment des femmes. Nous sommes encore loin de l’égalité salariale dans certains domaines, mais on veut déjà relever l’âge de la retraite. On se moque clairement des femmes avec cette réforme.» Quant à juger les compensations offertes en contrepartie, Céline Amaudruz ne partage pas l’avis de Maria Bernasconi et les juge insuffisantes: « L’AVS est une assurance basée sur la solidarité générationnelle. Il faut faire attention à ne pas imposer plus aux uns qu’aux autres.»

Les compensations, les voilà : 70 CHF ajoutés aux rentes de toutes et tous, un 2ème pilier plus favorable aux bas revenus et une augmentation des rentes pour les couples mariés.  Pour Maria Bernasconi, si le projet est refusé, le boulevard sera laissé à la droite pour prendre des mesures draconiennes sans aucune compensation cette fois. Le spectre de l’augmentation de l’âge de la retraite à 67 ans pour toute la population a été, de nombreuse fois, levé au cours de cette campagne. Pour cette dernière, le combat idéologique doit être laissé derrière : «Le combat idéologique est mauvais, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes. Si la révision est refusée, ce sera dur pour les minorités.» Cependant, Michela Bovolonta conteste: «On revient sur un acquis historique durement obtenu.  On remet en cause l’âge de la retraite à 64 ans, cette mesure touche seulement les femmes et elle prépare l’augmentation de l’âge de la retraite pour tous à 67 ans.» L’égalisation de l’âge de la retraite est un sujet distinct de l’inégalité salariale pour les partisanEs de la réforme, tandis que pour les opposantEs à gauche, c’est un combat idéologique inévitable. D’ailleurs, un autre domaine brille par ses inégalités, c’est celui des rentes.

Un écart flagrant des rentes

L’écart entre les rentes des femmes et des hommes est indiscutable. En Suisse, les rentes des femmes sont inférieures de 37% à celles des hommes. Au sein du premier pilier, l’AVS, l’écart est minime car des mesures redistributives prenant en compte le travail non rémunéré ont été mises en place. Les femmes versent moins de cotisations à l’AVS que les hommes, mais touchent plus de prestations que ces derniers[2]. A l’opposé, au sein du 2ème pilier, l’écart est d’environ 60% en faveur des hommes. En effet, les conditions afin de pouvoir y cotiser sont plus difficilement atteignables pour les femmes. Tout d’abord, il faut gagner au moins 21’150 CHF par an auprès d’un même employeur, soit environ 1700 CHF par mois. Ainsi, les femmes qui possèdent deux emplois afin de joindre les deux bouts et gagnent des revenus modestes ont de la peine à atteindre ce seuil. Celles qui travaillent à temps partiel, et elles représentent plus de la moitié des femmes actives, peuvent également avoir des difficultés à remplir ces exigence, surtout lorsqu’elles évoluent au sein des secteurs précaires.

«Ensuite, les temps partiels sont souvent imposés, surtout dans le secteur de la vente, qui est un domaine féminisé. Les femmes sont plus souvent obligées de diminuer leur temps de travail, pour des raisons professionnelles ou privées.» ajoute Michela Bovolenta.

La dégradation des conditions de travail

 En plus des salaires inférieurs et des temps partiels imposés, la nature des métiers pèse aussi sur les femmes. Certains métiers sont plus pénibles que d’autres, et les conditions de travail deviennent de plus en plus précaires. Les métiers féminisés en sont un bon exemple. Les métiers que la société définit à tort comme «féminin» sont de moins en moins valorisés, que ce soit dans la vente, dans la santé ou la petite enfance. Les conditions se dégradent, comme le prouve l’initiative populaire pour des soins infirmiers forts[3], qui vise à garantir des conditions de travail honnêtes. Pour Michela Bovolenta, il faut prendre en compte la pénibilité de ces secteurs: «On ne marchande pas un an de plus à emballer de la volaille dans le froid, à soulever des personnes âgées dans un EMS ou à scanner des produits à une caisse de supermarché!»[4] Mais pour Maria Bernasconi, la réforme peut justement aider les travailleuses concernées: «beaucoup de femmes ayant des métiers pénibles, mais dont les employeurs n’offrent pas de retraite anticipée avec une rente-pont, pourront désormais se permettre de réduire progressivement leur temps de travail en fin de carrière.»[5]

TouTEs les acteurTRICEs préconisent un changement du système de prévoyance et affirment que celui-ci doit évoluer avec son temps. Un des principaux objectifs est rempli : le maintien des rentes est obtenu, et celles-ci seront même améliorées, souligne Maria Bernasconi. Pour d’autres, ce progrès global n’est pas suffisant pour justifier l’augmentation de la retraite des femmes. Revendication idéologique ou aveuglement des réalités politiques, injustices ou compromis, la campagne politique offre un florilège de termes pour qualifier la réforme. En plus de nous offrir ces expressions fourre-tout, la campagne a le mérite de nous rappeler une chose essentielle : les femmes constituent un groupe particulier de la politique. Elles forment une minorité politique car leurs situations sont, de manière injustifiées, inégales à celles des hommes. Et comme l’ont prouvé les interventions de Michela Bovolenta et de Maria Bernasconi, aucun groupe est homogène et les différents points de vue doivent être relayés. C’est ce que Décadrée a souhaité faire.

 

Petite histoire de l’AVS

 

C’est le 6 décembre 1925 que la Suisse adopte le principe d’une assurance vieillesse et survivantEs. Il faut cependant attendre 1946 pour qu’une loi fédérale soit adoptée et 1948 pour qu’elle soit appliquée. Lors de l’instauration de l’AVS, l’âge de la retraite était fixé à 65 ans pour les femmes comme pour les hommes. C’est lors de la 4ème révision de l’AVS, en 1957, que l’âge de la retraite descend à 63 ans pour les femmes, puis à 62 ans en 1964. A cette époque, les femmes mariées ne disposaient pas de leur propre rente. Celle de leur époux, quant à elle, se transformait en rente de couple d’un montant plus élevé. C’était le modèle dépassé et traditionnel qui prônait une répartition des tâches patriarcale. Les hommes s’occupaient de subvenir aux besoins matériels du ménage, tandis que les femmes étaient cantonnées à leur rôle de gardienne du foyer.

 

La 10ème révision de l’AVS abolit ce modèle et les femmes obtiennent enfin leur propre rente. Le travail familial, non rémunéré, est compensé grâce au splitting des revenus, c’est-à-dire que lors du calcul des rentes, chaque conjointE se voit attribuer la moitié de la somme des revenus d’activité lucrative qu’ils ont réalisée durant leur mariage. De cette manière, le travail non rémunéré comme le travail ménager est pris en compte et est compensé lors du calcul des rentes AVS. Cette reconnaissance du travail domestique n’apparaît qu’au sein de l’AVS, soit le premier pilier du système de prévoyance vieillesse. Le 2ème pilier, la prévoyance professionnelle, est quant à lui plus inégalitaire. En contrepartie de cette réforme progressiste, l’âge de la retraite des femmes passe à 64 ans, entre 2001 et 2005.

 

 

 

 

[1] Les femmes-PLR Genève ne prennent pas position en raison de désaccord au sein de leur comité, le point de vue de Céline Amaudruz, de l’UDC, sur la question est étayé dans l’article.

[2] Les femmes versent 33% des cotisations à l’AVS mais touchent 56% des prestations de l’AVS. Les hommes, eux, versent 67% et ne touchent que 44%. https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/statistik.html

[3] http://www.pour-des-soins-infirmiers-forts.ch

[4] https://www.24heures.ch/signatures/reflexions/Pour-les-femmes-qui-disent-non/story/29281802

[5] https://www.sp-ps.ch/fr/publications/blog/le-oui-resolu-dune-feministe

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