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Visibiliser l’invisible : le harcèlement sexuel aux études

Visibiliser l’invisible : le harcèlement sexuel aux études

Auteurice Stéphanie Carneiro Nunes, 12 décembre 2016

Des associations d’étudiantEs s’unissent pour le lancement d’une campagne nationale contre les violences sexuelles, sexistes et le harcèlement moral. Explications de Caroline Aubry, membre du groupe de travail Genre de la Conférence Universitaire des Associations d’EtudiantEs (CUAE) et du Collectif des étudiant·e·s en lutte contre les violences sexistes et le harcèlement sexuel (CELVS).

 

DécadréE : Tout d’abord, qu’est-ce que le harcèlement sexuel ? Et existe-il vraiment dans les établissements de formation?

Caroline : Il y a évidemment de nombreuses définitions. La LEg (Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes) le définit à l’article 4, comme un comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement, fondé sur l’appartenance sexuelle. Il est aussi sexiste, car il tend à créer une hiérarchie entre les sexes et les sexualités et il peut aussi viser les comportements perçus comme sortant de leurs normes genrées. Je trouve particulièrement important le fait que cela soit le ressenti de la victime qui compte dans la qualification d’un acte comme harcèlement sexuel ou sexiste.

En ce qui concerne les établissements de formation, ils n’échappent de loin pas à ce phénomène. Les rapports hiérarchiques, le manque de visibilité des problématiques propres au système patriarcal, la grande concentration de personnes favorisent l’émergence et la pérennité de tels comportements. Ajoutez à cela que le harcèlement sexuel n’est pas le ressort d’une personne isolée qui serait dérangée, mais bien d’une violence structurelle, qui se retrouve donc dans de nombreux espaces publics comme privés.

 

DécadréE : Pourquoi une telle campagne? Et en quoi consiste-t-elle?

Caroline : Cette campagne s’inscrit dans une logique plus globale de prise de conscience autour des violences sexistes. Au printemps 2016, le CELVS avait organisé un colloque autour du harcèlement sexiste et sexuel à l’UNIGE. Puis en novembre, il y a eu la création du Réseau féministe étudiant et l’Assemblée féministe qui s’en est suivie et à présent, cette campagne. Cette prolongation est la possibilité de visibiliser l’invisible.

La campagne est coordonnée par différentes associations étudiantes à travers toute la Suisse (la CUAE, le CELVSSud-EPKripo Fribourg, Berne et Zurich, l’AFU UNIL). La première étape est de faire connaître et reconnaître ce phénomène dans les lieux de formation avec des actions directes, tels que des affichages et des tractages ou encore d’aller à la rencontre des étudiantEs dans les différents lieux. Dans un second temps, il faudra agir au niveau des institutions, à commencer par l’Université de Genève, en interpellant le rectorat et en demandant que les moyens d’actions deviennent effectifs. Car la LEg prévoit des mécanismes de lutte contre ces discriminations, mais se limite aux rapports de travail. Il s’agit aujourd’hui de réfléchir à comment on peut les étendre ou transposer dans le domaine de la formation qui n’est pour l’instant pas protéger.

 

DécadréE : Existe-il des a prioris vis-à-vis du harcèlement sexuel ?

Caroline : On nous dit souvent que le harcèlement sexuel ça n’existe pas ou que si ça existe, c’est juste de la drague un peu lourde, que l’agresseur est une personne dérangée, que l’agresséE est une personne fragile, naïve, provocatrice… En fait, le harcèlement sexuel ce n’est pas une agression isolée. C’est une violence structurelle. C’est la reproduction au niveau micro de rapports de pouvoir, de rapports de discrimination genrés qui existent à tous les échelons, privés, publics, au travail, aux études : c’est omniprésent.

 

DécadréE : Rencontrez-vous des barrières ou des obstacles avec cette campagne?

Caroline : Oui. Le premier obstacle, c’est que tout est à construire au niveau institutionnel. On fait face au silence du rectorat sur cette question, à des procédures lacunaires et insuffisantes. Le processus de médiation mis en place par l’Université de Genève par exemple n’est pas une solution viable : on ne fait que confronter la victime à son agresseur une nouvelle fois et on cherche à étouffer l’affaire. Le deuxième obstacle c’est la négation de ce phénomène à tous les niveaux : en disant que ça n’existe pas, on délégitime les victimes, on ne leur permet pas de s’exprimer, on permet que ces phénomènes perdurent. Il y a aussi celles et ceux qui s’étonnent qu’aucune protection ne soit prévue au sein des lieux de formation contre le harcèlement sexuel. Il y a un vrai travail d’information et de conscientisation à faire autour de ce sujet.

 

DécadréE : En terme de genre, est-ce que tout le monde qui étudie ou travaille dans ces établissements est concerné de la même manière par ce problème ?

Caroline : Il est important de rappeler que tout le monde peut être victime de harcèlement sexuel et qu’il n’y a pas de profil-type de personne harcelée ou harceleuse. Les hommes peuvent être victimes des stéréotypes qui leur imposent d’être virils, forts, etc. On est dans une société patriarcale. Les violences ciblant particulièrement les femmes sont discriminatoires et touchent au physique, à l’attitude ou encore aux comportements qu’on attend d’une femme. Le harcèlement est sexiste avant d’être sexuel.

 

DécadréE : Quelles sont les conséquences pour les personnes harcelées et pour celles qui harcèlent?

Caroline : Les conséquences sont nombreuses pour les victimes : conséquences psychologiques, physiques, perte du fil de leurs études, changement d’établissement, dépression,… Par contre les conséquences pour les personnes qui harcèlent sont moindres. Car il y a des mécanismes de protection entre les pairs (corps professoral ou rectorat par exemple). Les harceleurs se sentent renforcés dans leur position, puisqu’il n’y a pas de mécanismes de répression prévus. C’est la raison pour laquelle ce type de comportement devrait être punissable et ce de manière plus concrète.

 

DécadréE : Le harcèlement sexuel étant quelque chose de structurel, comment peut-on agir ?

Caroline : L’objectif principal c’est de visibiliser cette problématique et ça passe par le fait de conscientiser et de thématiser le rôle de témoin. Il faut encourager à témoigner. Il faut penser à l’introduction de protections légales des victimes. On est dans une logique de déconstruction des rapports de pouvoir qui sont une des sources du harcèlement sexuel dans les lieux de formation. Un des points importants de cette campagne c’est d’élargir cette thématique aux autres lieux de formation, comme les Hautes Ecoles, les lieux de formation des apprentis pour que ça ne reste pas qu’universitaire.

 

DécadréE : Chaque canton et même chaque établissement a un règlement qui lui est propre. Quelles sont les mesures misent en place par cette campagne pour répondre à cette diversité ?

Caroline : L’idée de lancer une campagne nationale en coordination avec des associations étudiantes de cantons différents est d’essayer d’adapter les demandes et les propositions à chaque lieu de formation. Il y a une revendication commune, c’est l’extension de la LEg. Chaque association est ensuite autonome pour mener des actions au sein des lieux de formation dans lequel elle évolue. Tout un chacunE peut d’ailleurs signer en ligne pour soutenir cette campagne.

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