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Diversité et double discours, le cas Rowling

Diversité et double discours, le cas Rowling

Auteurice Alexandra Tavares Agostinho, 19 mars 2018
Illustrateurice

S’il existe une saga littéraire qui a su grandir et s’exporter pour vivre dans des milieux les plus variés qu’il soit, il s’agit bel et bien d’Harry Potter. Pourtant, Poudlard – maison de nos héroÏNEs – est tout sauf aussi diverse que ses lecteursTRICES. Manque d’inclusivité, erreurs de casting et diversification ex post facto. Opinion.

Dans un article publié le 1e Février 2018 sur Pottermore, le site internet du monde magique créé par Rowling et son équipe, il a été annoncé que la barre des 500 millions de livres de la saga Harry Potter vendus à été dépassée. Traduits dans plus de 80 langues, le premier tome est sorti il y a 20 ans. À ce compte, en moyenne, cela signifie qu’une personne sur 15 possède un livre des aventures d’Harry Potter.

J. K. Rowling, l’auteure de la saga, a mentionné à maintes reprises son engagement dans la justice sociale. Elle utilise souvent les réseaux sociaux pour partager, défendre, échanger sur des thèmes importants – du féminisme à la politique. Avec un nombre de lecteursTRICES allant jusqu’au demi-milliard et pas loin de 15 millions d’abonnéEs sur Twitter, les mots de Rowling ne restent jamais exempts d’impact.

Prises de position a posteriori

Depuis la publication de son dernier livre de la série en 2007, Rowling continue de fournir certaines banalités au sujet de l’univers fictif de ses livres – via Twitter ainsi que lors de conférences et événements publics. Bien que cela puisse réjouir beaucoup de fans, une accumulation de faux-pas donne envie de tirer la sonnette d’alarme. Après que la saga Harry Potter ait connu le succès, son auteur a, à plusieurs reprises, alimenté sa fanbase d’informations laissant penser que ses histoires étaient inclusives et variées. Lorsqu’elle agit de la sorte, l’auteur souligne à quel point le manque de diversité était criant dans cette série de romans.

Au cours de sa dernière tournée promotionnelle en 2006, Rowling a annoncé qu’Albus Dumbledore, un des personnages principaux de la série de livres, est un homme gay. Cette annonce a été accueillie avec des applaudissements du public, ce qui l’a amenée à répondre: « Je vous l’aurais dit plus tôt si je savais que cela vous rendrait si heureux». D’une certaine manière, Rowling  insinue qu’en partageant ceci plus tôt – dans les livres eux-mêmes – l’auteure aurait rendu ses lecteurTRICEs malheureuxSES. Dix ans après cette remarque, en 2016, Rowling rend disponible sur son site un extrait qui raconte l’histoire personnelle de Remus Lupin, personnage qui se change en loup-garou. Dans celle-ci, elle insinue que cette condition est une métaphore pour les patients atteint du SIDA. Ce qu’elle voulait sûrement exprimer était que les personnes atteintes de la maladie sont facilement rejetées par la société, mais ce qu’elle a réellement fait c’est continuer de stigmatiser ces mêmes personnes, souvent déjà réellement perçues comme des monstres. Et un loup-garou, ce n’est pas très humain…

Il existe  une crainte fondamentale chez Rowling : perturber les hypothèses littéraires hétéronormatives de ses lecteurTRICEs. Et pour elle, de telles hypothèses se doivent de rester intactes.

Pas de réelle diversité des représentations

Lors de la révélation du casting de Noma Dumezweni, une actrice noire, pour le rôle au théâtre du personnage de Hermione Granger, un des personnages du trio principal de la saga et joué par une actrice blanche dans les films mondialement connus, Rowling s’est dite enchantée. Elle explique notamment que jamais Hermione n’a été explicitement décrite comme blanche dans les livres. Selon elle, cet argument de force la place comme une vraie alliée de la cause.

La question qui se pose est pourquoi donc n’a-t-elle pas pu écrire Hermione comme une femme de couleur dans ses livres ? Très peu de personnages de la série sont explicitement définis vis-à-vis de leur couleur de peau et ceuxCELLES qui le sont, sont souvent stéréotypéEs – tel que le personnage de Cho Chang, chinoise selon les écrits de Rowling mais aux noms coréens – ou alors tout simplement bâtardiséEs – comme lorsque Rowling a voulu écrire sur les indiens d’Amérique mais a explicitement retiré des éléments de ces cultures pour l’effet dramatique.

L’hypothèse dans de tels cas est que tous les personnages sont blancs, sauf indication du contraire. L’ambiguïté de ces scénarios offre beaucoup d’espace aux  interprétations de la part des fans, comme tout bon roman se veut d’offrir. Toutefois, les hypothèses homogènes de nombreux lecteursTRICES ont été confirmées par les adaptations cinématographiques d’Harry Potter, dont deux sont co-produites par Rowling. Dans ces derniers, il est estimé que 99,53% du dialogue entre les huit films ont été livrés par des acteurTRICEs blancCHEs. Autrement dit, sur le cours des huit films, uniquement 5 minutes et 40 secondes des dialogues ont été prononcées par des personnes de couleurs.

DécadréE a déjà abordé la controverse qui a suivi le casting de Johnny Depp dans l’un des prochains films de l’univers d’Harry Potter. Toutefois, J. K. Rowling a toujours été une grande avocate contre la violence faite aux femmes. Elle a elle-même vécu des violences de ce type. Et pourtant, en décembre 2017, elle publie sur son site personnel son soutien et sa joie quant au casting de  Johnny Depp, annonçant que les problèmes que l’acteur rencontrent relèvent de la sphère personnelle et n’ont pas de lien direct avec son métier.

Une distance semble s’installer entre ce que nous avons appris dans Harry Potter et ce que le casting de Depp implique essentiellement. Comment abordons-nous cette dissonance? La solution de Rowling est que le divorce Depp/Heard est une affaire privée et que l’affaire devrait en rester là. Mais les hommes qui abusent des femmes ne sont pas une affaire privée, c’est un problème systémique. Et cela relève de la sphère publique.

 

Un problème lié au genre littéraire?

Dans un article du Boston Globe, S. I. Rosenbaum a tenté d’expliquer pourquoi les écrits de Rowling sont si peu diversifiés. L’article conclut que les mondes fantastiques sont souvent bâtis de telle façon qu’ils ne peuvent pas être inclusifs des minorités, car sinon le paradigme sur lequel ils reposent s’effondrerait. On peut faire valoir qu’il n’est pas non plus obligatoire pour toute la fiction de perturber la pensée hétéronormative ou intersectionelle.

Pourtant, il faut encourager les interprétations anti-colonisatrices de la littérature populaire et mettre à jour le double discours de Rowling qui aspire à se poster en tant qu’alliée de causes sociales, tout en évitant de perturber explicitement ces mêmes hypothèses qui sont formulées dans son écriture. Une telle perturbation n’a de crédibilité que si elle est explicite dans l’œuvre, plutôt qu’après coup. Si Dumbledore avait été écrit comme gay ou Granger comme noire – deux interprétations qui ont été affirmées et approuvées par Rowling depuis ses dernières publications – elle aurait pu diversifier sa fiction avec une voix littéraire légitime et puissante. Il ne suffit pas de dire que ces gens étaient là. Nous souhaitons les lire réellement.

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