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Femme et politique : les stéréotypes féminins comme arguments de campagne ?

Femme et politique : les stéréotypes féminins comme arguments de campagne ?

Auteurice Jacques Friedli, 14 juillet 2017
Type de publication

Effet paradoxal de l’inégalité en politique, les stéréotypes genrés peuvent être utilisés comme atout par des femmes en campagne. Compte rendu de l’étude d’Emily Morard sur ce phénomène, ainsi qu’une interview de l’auteure, qui nous livre ses conseils de lecture sur le genre en politique.

Publié le 14.07.2017 par Jacques Friedli —-> Interview de Emily Morard

Au début du mois de juin 2017, le pourcentage mondial de femmes dans les parlements nationaux arrivait à 23.3%, selon l’Union interparlementaire[1]. En Europe, il s’élevait très sensiblement plus haut, à 26.6%[2]. Le genre féminin est sans conteste majoritairement un désavantage en politique.

Des études montrent toutefois que les politiciennes peuvent se servir de la focale médiatique sur les stéréotypes féminins : en utilisant sciemment ces derniers au bon dosage, elles arrivent à en faire un atout[3].

C’est la découverte de cette utilisation des stéréotypes de genre comme atout politique qui a poussé Emily Morard, alors étudiante d’un master en communication et journalisme au Medi@Lab[4], à effectuer son mémoire de diplôme sur la thématique du genre en politique.

Son mémoire[5], finalisé en 2016, propose une analyse de l’usage des stéréotypes féminins en tant qu’atout par les femmes politiques en campagne, en se basant sur les deux principales protagonistes de l’élection de la Mairie de Paris en mars 2014. Ce sont en effet deux femmes, Anne Hidalgo et Nathalie Kosciusko-Morizet, qui étaient en lice pour devenir Maire de la Ville Lumière.

Nous y suivons une enquête en trois parties, d’abord sur le discours des femmes politiques, puis sur leur présentation par l’image, et enfin sur l’intensification supposée de l’utilisation des stéréotypes féminins au cours de la campagne. Nous découvrons que lors de cette élection, si les stéréotypes féminins ont bien été utilisés par les deux candidates, dans leur discours comme dans leur image, ce fut dans une proportion somme toute assez faible, entre 0 et 5 % de l’entièreté du matériel analysé. Et cette utilisation n’a pas augmenté avec l’intensification de la campagne. L’auteure peut également affirmer à la fin de sa recherche que l’utilisation des stéréotypes féminins n’a pas été déterminante dans cette élection, qui se jouait entre deux femmes.

Cette étude se révèle une introduction originale à la question du genre en politique. Portant sur un champ très restreint, son principal intérêt ne vient pas de ses conclusions mais bien de la méthode du chemin emprunté. En effet, l’étude se base sur des supports allant de la page Facebook des candidates à leur site internet, en passant par des émissions télévisées, et offre pour chaque support des éclaircissements très concrets sur les stéréotypes de genre. Les annexes de l’études, richement fournies, permettent aux lecteursTRICES de bien comprendre la place du genre dans les discours comme dans les images.

C’est peut-être là qu’est la plus grande richesse de ce travail : rendre aisément accessibles de nombreuses clés de compréhensions du genre en politique.

[1] L’Union interparlementaire est une organisation qui réunit les parlements nationaux de 173 pays.

[2] Ces données ont été établies par l’Union interparlementaire à partir d’informations fournies par les parlements nationaux jusqu’au 1er juin 2017. Lien : http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm Un historique depuis 1997 http://www.ipu.org/wmn-f/world-arc.htm

[3] Notamment Achin C., et alli, Sexes, genre et politique, Paris : Economica, 2007, 184p.

[4] http://medialab-geneve.ch/ Medi@lab-Genève est un Institut dédié à l’enseignement et à la recherche dans le journalisme et la communication.

[5] Morard Emily, L’usage des stéréotypes féminins par les femmes politiques en campagne, L’élection municipale de Paris 2014, 2016. Disponible à la bibliothèque d’Unimail. Référence : MM2 143

Interview

 

Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Après un Bachelor en langue et littérature anglaises (Genève) et en sciences de l’information et de la communication (Neuchâtel), j’ai décidé de me lancer dans le Master en Communication et Journalisme de l’institut Médi@LAB. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai travaillé quelques mois au Bureau International du Travail. Depuis le mois de septembre 2016, je suis chargée de communication et responsable de projet dans une agence de Communication spécialisée dans le sport.

La thématique du genre est-elle abordée au Medi@LAB, et si oui, de quelle manière et dans quelle mesure?

La thématique du genre n’est pas particulièrement abordée au sein de Médi@LAB. L’institut traite des différentes thématiques beaucoup plus générales (communication de crise, histoire de la communication, communication politique, etc.) qui peuvent parfois intégrer des références au genre, mais ce n’est pas une partie du programme en soi.

Parlons de votre travail de mémoire. En se basant sur les observations effectuées dans l’étude, peut-on déduire une grande évolution ces dernières années de la présentation que donnent les femmes politiques en campagne (avec une diminution de l’utilisation des stéréotypes féminins) ?

Je ne prétends pas montrer une quelconque évolution quant à la présentation que donnent les femmes politiques en campagne, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, mon étude ne se base que sur une seule élection ; je ne fais pas l’analyse de l’évolution sur plusieurs scrutins, mais de l’évolution au sein d’une seule et même campagne. Lorsque j’évoque d’autres campagnes électorales, il ne s’agit jamais d’un comparatif temporel avec la campagne de Paris 2014.

Il existe apparemment une littérature conséquente sur les stéréotypes féminins utilisés volontairement par les femmes en politique. Est-ce vraiment significatif en termes de quantité de travaux ? Et est-ce spécifique à certains pays ? (Et éventuellement, de quel type d’ouvrages s’agit-il principalement (simples articles de journal, articles scientifiques, études poussées ?)

 Il existe effectivement une littérature assez importante quant à l’utilisation de stéréotypes féminins par les femmes politiques, mais l’on reste souvent face aux mêmes auteurEs. Aussi, il me semble que l’on ne trouve que très peu de documents relatifs à ce sujet avant les années 1980. Je pense donc qu’en termes quantitatifs, cela peut être significatif dans le sens où les ouvrages sont nombreux.

Je mettrais en revanche un bémol sur le plan qualitatif et exhaustif, puisqu’il n’existe finalement pas énormément d’auteurEs, et que bien souvent, de ce que j’ai eu l’occasion de voir, ces études sont concentrées sur la France et les USA.

En ce qui concerne le type d’ouvrages utilisés, je dirais que l’on trouve avant tout des articles de journaux (peut-être parce que la question du genre est très « actuelle », sociétale et contemporaine). Suivent les articles scientifiques, un peu moins nombreux.

Dans la conclusion vous dites votre surprise quant à la quantité réelle de stéréotypes féminins utilisés, bien inférieure à ce que vous attendiez. Avez-vous une hypothèse pour expliquer ce décalage ?

Dans ma conclusion, je dis surtout ma surprise face au fait que l’utilisation des stéréotypes, dans mon étude, ne semble pas déterminante. Lors de ma soutenance, je soulève une question ouverte, à savoir « Est-ce que finalement, ce ne serait pas l’utilisation de stéréotypes masculins par les femmes politiques en campagne qui serait déterminante ? En effet, si l’on prend des femmes élues à des postes traditionnellement masculins (comme Margaret Thatcher[i], Angela Merkel[ii] ou Michèle Alliot-Marie[iii]), celles-ci sont souvent décrites par des attributs plutôt masculins. J’avais relevé ces descriptions dans différents ouvrages :

  • Margaret Thatcher : Enjeux féminins ni dans programme, ni dans discours ; Agressive dans choix sociaux ; Stabilité émotionnelle ; Dame de Fer ; « Meilleur homme politique britannique » ; Respect mais pas affection.
  • Angela Merkel : Cheveux à la garçonne ; Austérité et sobriété.
  • Michèle Alliot-Marie : Raide et autoritaire ; Demande de décliner ses fonctions au masculin ; Toujours en pantalons ; Cheveux courts ; Vêtements militaires ; « Disparition du corps sexué dans la fonction ».

Pour vérifier cette hypothèse, il faudrait refaire la même étude, avec le focus sur l’utilisation de stéréotypes masculins. Pour terminer, je dirais que si l’on reprend mon étude, le fait qu’il s’agisse de deux femmes qui s’affrontent diminue encore l’intérêt à mettre en avant des stéréotypes féminins, puisqu’elles sont à armes égales.

Un an après votre recherche, quel regard portez-vous sur cette thématique et sur votre étude. Voudriez-vous aborder la thématique d’une autre manière si c’était à refaire aujourd’hui? Et avez-vous trouvé un écho particulier de vos résultats dans les récentes élections ?

 Je pense qu’un an après avoir terminé cette étude, j’aurais peut-être établi un comparatif de l’utilisation des stéréotypes de genre, masculins ET féminins, afin de voir s’il est possible d’établir que l’utilisation des stéréotypes masculins par les femmes politiques en campagne est plus déterminante ou non. Je pense que j’aurais également visé une étude portant sur plusieurs élections, afin de voir s’il existe des constantes ou pas.

 

Les conseils de lecture d’Emily Morard, pour s’immerger dans la thématique du genre en politique :

Trois ouvrages à la fois accessibles dans leur lecture et très précis.

  • Achin C., et alli, Sexes, genre et politique, Paris : Economica, 2007, 184p.
  • Achin C., Lévêque S., Femmes en politique, Paris : La Découverte, 2006, 122p.
  • Gaborit P., Les stéréotypes de genre. Identités, rôles sociaux et politiques publiques, Paris : L’Harmattan, 2009, 341p.

Et un autre mémoire, très intéressant, centré sur la Suisse :

  • Ganzfried Miriam, Le genre comme ressource politique en Suisse – La perception de l’élite politique, 2009. Disponible en ligne 

 

 

 

 

[i] Margaret Thatcher, première femme à être Première ministre du Royaume Uni, place qu’elle conservera pendant 11 ans, est l’une des rares personnalités politiques britanniques à avoir donné son nom à une politique : le thatchérisme. Elle reste dans l’histoire comme l’une des dirigeantEs majeurEs d’Europe dans la deuxième moitié du XXe siècle.

 

[ii] Angela Merkel est Chancelière fédérale d’Allemagne depuis 2005 (c.a.d. cheffe du Gouvernement allemand), considérée par beaucoup comme la femme la plus puissante du monde, leader officieuse de l’Union Européenne, élue sans discontinuer au Bundestag depuis 1991, également docteure en sciences de la natures (physique, chimie quantique).

 

[iii] Michèle Alliot-Marie est une femme politique française de tout premier plan : députée européenne, ancienne ministre de la défense, première femme à avoir été ministre de l’Intérieur, numéro deux du gouvernement en 2007, ex présidente du parti Rassemblement pour la République RPR (aujourd’hui Les Républicains), également docteure en droit et en science politique et avocate.

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